1 Novembre 2019
Ecrit il y a 107 ans, "Le pèlerin d'Angkor" de Pierre Loti décrit sa découverte de ce site. Nous avons essayé d'associer des extraits de son texte à des photos d'aujourd'hui ...
Nous sommes frôlés de toutes parts… D’énormes chauves-souris, en nuage, en avalanche, affolées, agressives !… Elles vont éteindre notre pauvre lumière falote. Sauve qui peut ! Courons vers les portes…Nous sommes frôlés de toutes parts… D’énormes chauves-souris, en nuage, en avalanche, affolées, agressives !… Elles vont éteindre notre pauvre lumière falote. Sauve qui peut ! Courons vers les portes…
Dans la galerie du quatrième côté, rencontre de deux enfants-bonzes, – robe jaune citron et draperie jaune orange. Que viennent-ils faire là avec une brouette, une pelle et un balai ? Ah ! tout bonnement ramasser de la fiente de chauve-souris pour fumer quelque petit jardin monacal.
Beaucoup de pirogues sur ce fleuve, des pirogues faites chacune d’un tronc d’arbre creusé. Et, partout contre les berges, des engins primitifs pour la pêche, sortes de claies en jonc, en bambou, affectant diverses formes singulières ; la plupart ressemblent à d’énormes cocons et sortent à peine du fouillis vert pour ne plonger qu’à moitié dans l’eau ; presque l’on s’imaginerait voir les chrysalides d’où naissent ces bonshommes jaunes : sortes de vers, de mites, qui rongent ici l’admirable revêtement des plaines.
Aujourd’hui cependant se trouve être le troisième jour de la traditionnelle « fête des eaux », et, le soir, quand le soleil tourne au rouge de cuivre, les bords du grand fleuve tout à coup s’animent. Dans l’une des jonques royales, dont l’avant représente l’énorme tête d’un monstre de rêve cambodgien, j’assiste, en compagnie d’une vingtaine de Français et de Françaises en résidence d’exil à Pnom-Penh, au défilé des longues pirogues de course ; elles passent dans des remous furieux d’écume, menées par des hommes demi-nus qui pagayent debout en de belles attitudes, s’excitant par des cris.
Nous entrons dans le lac immense, formé ici chaque année, après la saison des pluies, par le puissant fleuve qui périodiquement inonde les plaines basses du Cambodge et une partie des forêts du Siam. Pas un souffle de brise. Comme sur de l’huile, nous traçons, en glissant sur ce lac de la fièvre, des plissures molles, que la lune argente.
Et, en plus de tant de pièges tendus, il y a les innombrables oiseaux pêcheurs, aux longues pattes, au long cou, au long bec cruel toujours prêt à saisir. Hommes et échassiers guettent ces myriades de vies silencieuses, rudimentaires, qui passent dans le fleuve ; de toute antiquité leur chair s’est nourrie de la chair plus froide des poissons.